Le jour où j'ai arrêté de dire "Excusez-moi"

Le jour où j'ai arrêté de dire "Excusez-moi"

Depuis quelques mois, je me suis lancée dans une toute nouvelle expérience d'apparence banale et pourtant symboliquement très chargée : le désormais fameux "excusez-moi". 

Pas celui que j'adresse après avoir fait une bêtise pour demander pardon. Non celui-là d'ailleurs ça fait bien longtemps que j'ai arrêté de le prononcer, notamment parce que je ne fais plus de bêtise. Je plaisante ! Je disais donc : notamment, parce-que demander pardon est un acte en soi, "je te demande pardon, pour que toi, tu puisses m'excuser" et pas un très arrogant "je m'excuse" impliquant un "de toute façon que tu me pardonnes ou pas, peu m'importe, voilà mes excuses, passons à autre chose". Oui c'est une subtilité. Mais c'est une subtilité importante. Et je trouve personnellement peu de choses plus gracieuses que l'à-propos.

Le "excusez-moi" que j'arrête de prononcer à tout bout de champ, c'est celui qui me vient comme un réflexe quand j'ai, par exemple, peur que ce qui va suivre paraisse trop abrupte. Ma facture est erronée et je paie deux fois plus que ma consommation réelle et me voilà, tout sourire : "Excusez-moi mais je crois qu'il y a une erreur...". Le "excusez-moi" qui essaie de ménager la sensibilité de l'autre "Excusez-moi mais je vous avais explicitement demandé un plat sans crème du fait de mon allergie et il me semble bien voir là une petite piscine de crème, oui, là au fond de mon assiette...". J'ai dans mon carnet de compte des milliers de "excusez-moi" utilisés à mauvais escient, ce qui frise parfois l'absurde. Mon préféré ? Le "excusez-moi" quand je viens de me faire bousculer par quelqu'un... nan mais franchement !

Avez-vous déjà prêté attention à vos "excusez-moi" personnels ? 

C'est assez intéressant d'observer son entourage, et premier constat : c'est très souvent un truc de femme. C'est en écoutant un papa discuté avec son fils que cela m'a particulièrement frappé, il lui disait : "on ne s'excuse jamais, on répare et on garde la tête haute". Outre le bien-fondé ou non de cette phrase, je crois que l'on ne m'a jamais dit quelque chose de ce genre tout comme à la plupart de mes amies. C'est plutôt le contraire : s'excuser, c'était une façon d'être féminine, de ne pas déranger, de ne pas interrompre, de ne pas confronter, de ne pas faire preuve d'insolence. Soit 1% de mes "excusez-moi".

Après cette prise de conscience, je me faisais la réflexion que le changement serait sans aucun doute aisé. Que nenni ! Ces fichus deux mots sont devenus des réflexes, le truc qui sort sans même que j'en ai conscience. Il me faut souvent dire au revoir à quelqu'un pour prendre conscience que j'ai passé une bonne partie de la conversation à m'excuser de quelque chose que je n'ai pas fait ! Hallucinant ! C'est encore plus frappant au travail avec les échanges de mails : le fait de l'écrire (et sûrement aussi le temps de l'écrire) rend la prise de conscience plus aisée et le pire : c'est souvent un calvaire de trouver un synonyme, je peux rester plusieurs minutes à tourner et retourner les phrases dans ma tête avant de trouver une formulation satisfaisante ! Et généralement, c'est parce qu'il n'y a pas de synonyme, ce qui remplace le "excusez-moi", c'est absolument r-i-e-n.

Eh oui, on ne s'excuse pas de quelque chose que l'on n'a pas commis soit même. On n'a pas besoin non plus de s'excuser d'avoir été bousculée, ou de s'excuser de demander à obtenir le service pour lequel on a payé.... incroyable n'est-ce pas... la révélation de l'année ! J'aurais aussi pu intituler cet article "Excusez-moi ou quand l'on prend conscience que l'on revient de loin"...

Ce que je trouve de loin le plus intéressant, au-delà de la prise de conscience que je n'ai pas à m'excuser de vivre, c'est la réaction des interlocuteurs qui sont inconsciemment habitués à ces excuses et s'en nourrissent. C'est finalement très agréable d'être dans une position où l'on "accorde" ou non son pardon à quelqu'un. Le "excusez-moi" devient alors un acte d'allégeance, forme de soumission : j'ai fait quelque chose qui requiert ton absolution, tu as donc du pouvoir sur moi. Nous sommes bien d'accord que les choses ne sont pas aussi caricaturale dans chacune des interactions anodines de la vie quotidienne, c'est pourtant, je le pense, le "schéma" (au sens de "pattern" en anglais) qui est à l'œuvre.

Finalement, arrêtez de s'excuser à tout bout de champ, c'est accepter d'être. D'être quelque chose de fini, d'entier, en soi et qui commence par soi. C'est se remplacer dans la chaîne cause-conséquence, comme acteur de ses futures actions. C'est envisager la possibilité que l'autre et ses besoins ne sont pas toujours premiers, que les siens comptent, et que l'on en est garant. Arrêtez de s'excuser à tout bout de champ, c'est prendre conscience que l'on donne trop de pouvoir à autrui et trop peu à soi. C'est une subtilité de langage qui prend la forme de deux mots qui dessinent les portes d'un monde où "je" à son mot à dire.

PS : Y eu quelques naissances autour de nous, et à chaque fois, je pense à ces torses nus de Papa qui chantent des chansons douces aux premières heures de vie... et ça m'émeut...

2 commentaires:

  1. C'est une belle philosophie, je suis d'accord.
    S'excuser ça va deux minutes, on est imparfait, comme tout le monde.
    Merci pour ce rappel.

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    1. Merci Hilde pour ton commentaire, je m'excuse de ne pas l'avoir vu avant... haha non, je m'excuse pas en fait, je suis ravie de le lire et oui, je suis parfaitement imparfaite ;))

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