J'ai été Umbrella Girl et ça a changé à jamais la perception que j'avais de moi-même

J'ai été Umbrella Girl et ça a changé à jamais la perception que j'avais de moi-même

Les rapports conflictuels que j'entretiens avec mon corps ne datent pas d'hier, lâcher prise, laisser tomber le poids étouffant des complexes est un combat quotidien, une souffrance aussi. Aucune épreuve n'aura été aussi intense que celle-ci, véritable voyage où chaque étape aura eu son importance. Voici venu le temps de la raconter, de l'ancrer, alors c'est reparti, et cette fois-ci, c'est la dernière, je ramasse tous mes petits bouts de courage, même ceux du fond là, et on replonge, mais pas seule cette fois...

"Le temps d'un week-end, l'année dernière, j'ai été Umbrella Girl."

Du triste sort réservé aux moqueurs
Je suis très moqueuse (c'est un fait, à lire d'un ton neutre et factuel). Ne vous avisez pas de vous étaler de tout votre long en face de moi, ce serait clairement un très mauvais calcul de votre part. Il me sera tout bonnement impossible de ne pas rire ; n'y voyez aucune, mais alors aucune méchanceté, malgré la douleur qui vous lancine le tibia, cherchez à me comprendre : j'ai en tête une sorte d'arrêt sur image de votre vol plané avec un zoom d'une précision extrême sur votre visage crispé, accompagné de votre voix au ralenti ("nooooooooooooonnnnnnn") et cette séquence passe et repasse en boucle devant mes yeux. Voyez, impossible de ne pas rire.

Je tiens à faire immédiatement un point sur la mauvaise presse réservée aux moqueurs. Le moqueur n'est pas un sadique, il ne prend pas plaisir à ce que vous vous fassiez mal, d'ailleurs le rire le quitte immédiatement s'il assiste à une situation qui requiert le sérieux. Ceci dit, il rit du cocasse d'une scène : un corps suspendu à quelques mètres du sol et parallèlement à celui-ci => bam, rires. Nous voilà au clair sur la définition des termes, parenthèse donc fermée.

Je ne suis pour autant pas dépourvu de remords, ce qui est, vous en conviendrez, extrêmement fâcheux quand on a le rire facile. Cette fois-ci, autant vous dire que j'aurais vraiment mieux fait de me contenir quand je contemplais le spectacle des Umbrella Girls, m'amusant de leur manège qui ne trompe personne du "ouuuuups, j'ai fait tomber mon badge, je vais devoir le ramasser avec ma mini-jupe et mes hauts talons han la laaaa" (véridique). Disons, que j'aurais pu tout simplement éviter de rire de bon cœur devant un pilote moto, avec n'importe qui d'autre, ça passait, mais j'ai commis cette erreur de débutante.

Tu ne verras pas d'inconvénients à essayer alors ?
Puisque j'étais si maligne, il n'y avait donc aucun problème à ce que j'endosse ce rôle lors des 24h du Mans, prise au piège (ai-je précisé que je suis fière aussi ?) et surtout assez sereine sur le fait que ja-mais il ne me dégoterait une place (c'est assez inaccessible pour le commun des mortels = moi), j'ai fièrement répondu que "Mouahaha, hihihi, trop facile."

Oui Maurine, ouiii, mais bien sûr ... On parle de la tête que tu as tiré quand il t'a donné ton badge environ un mois avant l'évènement en question ? On raconte les sueurs froides à 2h du matin afin de résoudre l'équation à 2 inconnues qui te permettrait de porter le parapluie des sponsors tout en paraissant naturelle (on ne peut pas oublier comment faire du vélo mais je vous assure qu'on peut oublier comment s'ouvre et se porte un parapluie...) ?

Umbrella Girl, un métier, des compétences
J'ai très rapidement eu l'intuition qu'Umbrella Girl en fait, c'était un métier (sans ironie aucune). La première compétence : la gestion du stress. Ma solution : ne pas y penser, repousser tout cela le plus loin possible dans ma tête, après tout, un ouragan annulant la compétition était encore possible, plus probable encore, il m'oublierait dans un coin étant donnée ma petite taille. EASY.

Le jour J approchant à grands pas, j'ai quand même discrètement vérifié si je me souvenais bien comment ouvrir un parapluie effectué quelques essayages. Deuxième compétence de l'Umbrella Girl : un physique très (extrêmement) avantageux. Gros échec : mes talons ne me grandissent pas, naine je suis, naine je resterai ; pour la poitrine, si je dis "la quoi ?" vous vous représentez la configuration de la chose ?

Troisième compétence de l'Umbrella Girl : globalement peu de complexes, faut assumer son corps. Est-ce bien utile de vous faire un feedback sur ce point là ? Non parce-qu'on va être honnête, j'ai bien senti qu'il y avait une petite notion de l'arroseur-arrosé couplée à une thérapie par la mise en situation dans cette expérience. Pour clarifier la situation, on va refaire les présentations : "Bonjour, moi c'est Maurine. Profession ? bourrée de complexes. Comment ça c'est pas un métier ?". Mon reflet et moi, là tout d'un coup, on a vu une immense vague de respect nous envahir pour les Umbrella Girl, parce-que bon, franchement, air scientifique, moue d'experte et regard respirant la concentration : "Umbrella Girl, c'est chaud.", oui c'est la moqueuse née qui vous parle.

C'est en tombant sur des photos de moi prises lors d'une soirée fort sympathique que la quatrième compétence de l'Umbrella Girl m'apparait comme une évidence : la photogénie. Moi, je suis quand même la fille qui suis restée coincée 3/4 d'heure chez le photographe pour les photos professionnelles obligatoires de la boite parce que "nan mais j'ai jamais vu ça, mais faut OUVRIR les yeux en souriant Madame" (tristement véridique). A ce moment là, j'ai quand même vérifié s'il y avait une chance pour qu'on me trouve une remplaçante. "Non ? Vraiment ? Ah bon, non mais je me demandais juste comme ça, par curiosité intellectuelle".

Jour J
Il ne faut pas me parler. J'ai rarement été aussi désagréable. Je tente de me cacher, marche pas, je pousse la mauvaise humeur à feindre d'être surprise que l'on m'ait vue cachée derrière la porte du box : monde injuste, c'est un scandale, remboursez ! Je n'entends plus ce qu'on m'ont dit, mon cœur bat trop fort et je reviens très brutalement à la réalité quand je vois la marée humaine (50'000 spectateurs quand même) qui s'agite pour déjà prendre en photo le box. Je ris très nerveusement en demandant ce que je dois faire, la scène me parait bien trop absurde pour être vrai.
- M'asseoir sur la moto et attendre en souriant ? Ahaha ... Pourquoi tu ne ris pas toi aussi ?
- Parce-que c'est pas une blague
- Tu te fous de ma gueule ? (je suis vulgaire quand je suis stressée)
- Non
- SI J'AI DIT. (regards paniqués). Au fait ils regardent quoi eux là-bas ?
- Toi
- Nooooooon. J'ai envie de fondre en larme. J'arrive pas à respirer, et j'ai une pensée super conne en tête : ça va faire couler mon maquillage (là. mon égo s'est barré en courant). J'ai jamais été aussi crispée de ma vie ! Raaaaaaah. Bon, c'est combien de temps déjà ? (je sais pas pourquoi je pose la question, je connais parfaitement la réponse, sorte d'ultime acte masochiste)
- Deux heures.
- Aaaaaargh.



J'ai mourru*.



J'ai aussi vécu une des plus belles leçons de ma vie. Et franchement, je l'avais mérité.

A l'heure de la repentance
J'ai été confrontée avec violence à mes idées préconçues sur les personnes qui font de leur apparence leur métier. Nous vivons dans une société qui glorifie la célébrité, véritable marqueur de succès. La rêver c'est une chose, la vivre en est une autre.

Je pense à toutes ces filles qui comme moi se torture à chaque fois que leur reflet leur apparait au détour d'une rue, je pense à cette façon qu'elles ont de détailler leur corps, de le dépecer pour seul et unique but de se punir d'être ce qu'elles sont et de petit à petit réduire leur égo à néant. De quel droit s'empêcher de s'épanouir dans le corps d'aujourd'hui parce-que l'on ne répond pas aux "standards" ? Le prix à payer pour être "vue" est énorme, on ne mesure pas la pression endossée par ces filles (et garçons) pour être remarquées dans un marché ultra-compétitif où le temps qui passe les évacuera irrémédiablement de la tête de l'affiche.

J'ai été estomaquée par le courage dont il faut faire preuve pour abandonner son apparence aux autres, parfaits inconnus qui vous matraquent à coups d'images sur lesquelles vous ne pourrez jamais, jamais, apposer votre droit de véto. J'ai pensé à la violence des paparazzis qui surprennent les stars et choisissent malicieusement la plus mauvaise lumière et le plus mauvais angle pour tenir un scoop. Bienveillance ? A oublier, business is business. Dans la vie de tous les jours, on choisit toujours de se présenter à quelqu'un, c'est bien autre chose d'être en perpétuelle représentation.

Et en même temps, j'ai réfléchi à la nécessité de laisser tomber ces barrières, j'ai trouvé fort de pouvoir dire "Voilà qui je suis, voilà la femme que je représente, je suis cela, et en même temps, je suis tellement plus. Je n'aurais sans doute aucune chance de pouvoir vous le démontrer mais en même temps qu'ai-je à prouver? Oui après tout je suis cela aussi pour vous : rien de plus qu'une apparence mais tout comme vous l'êtes pour moi car nous ne serons jamais plus que cela l'un pour l'autre". 

J'ai trouvé ça hyper éprouvant, comparativement  bien plus qu'une épreuve sportive ou qu'un examen (où l'on vous reconnaîtra toujours la possibilité de ne pas avoir eu de chance ou de ne pas être dans un bon jour). J'ai dû me transcender pour ne pas me dégonfler... et il m'a fallu un an pour faire un retour sur cette expérience, un an pour écrire cet article,  pour comprendre l'importance de ce qui m'avait été donné de vivre.

Nous sommes le 18 septembre, les 24h du Mans Moto vont bientôt débuter, et je vais regarder les Umbrella Girls en les trouvant emplies de force et de courage. Je vais les regarder sourire, rire, s'amuser, minauder et je vais rire avec elles de leurs attitudes de stars burlesques. Je vais les regarder et leur tirer mon chapeau bas.

J'ai été Umbrella Girl et ça a changé à jamais la perception que j'avais de moi-même

* Je tiens à préciser que les personnes rencontrées ont été on ne peut plus correctes, aussi bien au niveau des remarques, que des attitudes.

PS : Le jour où il faut cesser de survivre pour apprendre à vivre, et un combat mené avec dignité vaut la peine d'être mené.

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