Héros du quotidien - Tout quitter pour partir dans les prisons argentines ?

Héros du quotidien - Tout quitter pour partir dans les prisons argentines ?

Valérie, c'est un drôle de petit bout de femme. Valérie, elle a un très grand sourire dans lequel elle nous fait plonger la tête la première sans même que l'on s'en aperçoive, elle est instantanément l'amie qu'on a toujours eu, celle qu'on a toujours voulu, et en l'espace d'un regard bleu profond, on ne sait plus comment c'était la vie sans elle. Elle est là, rigolote, dégainant son rire plus vite que son ombre, et c'est bon de se laisser glisser dans le fleuve de sa gaité. Puis, soudainement, au détour d'un grand éclat de rire, vision fugace d'une toute petite porte ouverte sur son cœur, mais c'est déjà trop tard, Valérie est déjà en train de s'amuser des mots quelques phrases plus loin. C'est que Valérie, on ne la met pas sur pause. Alors on fait comme elle, baskets aux pieds et au cœur, on prend une grande inspiration, le rire en bandoulière, et on essaie d'emboiter le pas dans sa course dynamique à la joie de vivre, c'est qu'il faut la suivre cette incroyable Valérie qui n'aime pas les feux des projecteurs, et là alors, peut-être, qu'elle acceptera de répondre à toutes les petites questions qui découlent de la grande que voici...

Comment en vient-on à tout quitter du jour au lendemain pour partir en Argentine aider des prisonniers ?

Héros du quotidien - Tout quitter pour partir dans les prisons argentines ?
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En réalité, j'ai mis un an à monter le projet (ndlr : oui, du jour au lendemain quoi...). J'avais 28 ans et c'était le moment de faire un break. J'étais partie en voyage en Irlande et c'est là-bas que j'ai eu le déclic, je ne pourrais pas vraiment l'expliquer mais là-bas, toute seule, j'ai pris conscience que j'étais prête alors que ce projet murissait en moi depuis plus de 10 ans. Je fonctionne beaucoup par "illumination", c'est important de savoir s'écouter car cela permet de trouver les réponses ; on trouve toutes les réponses en soi si on s'écoute bien.
Ensuite, tout s'est fait très vite. J'ai découvert qu'il y avait tout un marché de l'arnaque au tourisme bénévole sur internet. Comme j'étais incapable de différencier le bon du moins bon, j'ai fait confiance à mon entourage, et j'ai rapidement eu en main 2 ou 3 noms d'associations. Je les ai contactées et 2 mois plus tard, je savais que je partais et que j'allais faire des interventions auprès de prisonniers à Santa Fe, en Argentine.
Serait-ce possible de toucher ici du bout des doigts le secret d'une telle détermination : un instinct hors du commun et la sagesse d'écouter ceux qui nous entourent ? C'est sans doute un début mais il me semble qu'il faut saupoudrer ces deux qualités d'un grand savoir-faire : dompter ses peurs.
Oui, ça voulait dire de rentrer dans le cœur des prisons. Et non, ça ne me faisait pas peur parce-que je ne savais pas à quoi ressemblait une prison en Suisse, et du coup, encore moins une prison en Argentine. On me disait : tu te rends comptes que tu vas aller aider des gens qui sont des sales types? Ça m'énervait, et puis j'ai pris conscience qu'ils parlaient de choses qu'ils ne connaissaient pas. Moi non plus. C'est pour ça que je voulais aller voir. On ne peut pas avoir peur de ce qu'on ne connait pas, on ne peut que se réjouir de le découvrir non ?
Logique imparable, n'est-ce pas ? Je savais qu'elle allait vous plaire Valérie, et attendez un peu, vous n'avez rien vu encore...
Moi j'essaie de ne pas paniquer face à la peur, et plutôt de la transformer en booster, un peu comme quelque chose qui nous tirerait en avant. De toute façon, je suis convaincue que lorsque l'on ressent une peur si forte que cela nous empêche d'aller de l'avant, alors c'est que finalement on n'est pas prêt. La peur, c'est aussi un formidable instinct de survie. Et dans ces cas là, il faut revenir aux fondamentaux, poser sur papier les raisons de celle-ci ; essayer de comprendre d'où vient la peur, c'est se donner la chance de la confronter et de la surmonter.

J'ai beaucoup de chances, j'ai une famille qui valorise énormément la prise de risque et surtout le fait d'aller au bout de ses rêves. Alors que je voyais mes amis fonder une famille, obtenir des promotions, construire la maison de leurs rêves, moi je démissionnais. J'ai pris conscience de nager à contre-courant et d'être complètement folle. Et là mon père m'a écrit un mot que j'ai longtemps relu, il me disait : "Ma fille, aie confiance en tes choix, ne change pas tes objectifs par souci de conformité. La conformité aujourd'hui correspond peut être à se marier et avoir des enfants, ce n'est n'est ni mieux ni moins bien que de vivre d'une vraie passion. N'oublie pas que la conformité est un standard qui change sans cesse en fonction du temps et de l'environnement. Ce qui était conforme il y a dix ans ne l’est plus aujourd’hui. Continue à faire confiance en ton cœur et mets les choses en perspective et tu seras heureuse, riche des expériences passées, forte pour affronter le futur et fière du chemin parcouru."

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Après les enseignements tirés de Luce qui nous montrait le plaisir d'être un peu plus que simplement, Valérie nous apprend aujourd'hui à ne surtout pas être moins que ce que nous sommes maintenant. Même si cela suppose un peu d'inconscience et de maladresse.
Le jour du départ, j'étais pas stressée. Je comprenais pas : j'étais pas stressée. Pour tous mes autres voyages, j'étais limite angoissée, et là, rien. J'ai trouvé ça très louche. Et puis faut dire que je voyais ma mère être tellement triste, que je sentais que deux cœurs tristes, ça allait être de trop. Alors j'ai fait des blagues pourries.

Et puis j'arrive à l'aéroport. Un homme joviale de 70 ans qui partait en voyage de groupe en Bolivie commence à me taper la causette et c'est quand je lui ai dit que je partais une année... que j'ai compris que je partais un an.

J'ai atterri à Cuzco, au Pérou. Le dépaysement total, je parlais très mal. Je me souviens, on m'a servi une soupe avec des pattes de poulet dedans, entières les pattes, et j'ai compris que j'arrivais dans un autre monde. Tout était différent, même ma démarche, j'avançais hyper lentement faut dire qu'à 3400m d'altitude, on manque carrément d'oxygène. J'étais là pour quelques mois, entre apprendre la langue le matin et faire du bénévolat dans une école l'après-midi.

Je parle d'inconscience et en même temps je m'interroge. A quoi bon vouloir être systématiquement dans l'hyper-lucidité quand la vie a sa propre logique, son propre tempo pour faire passer les messages... ?

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Cuzco ce sont les tresses des femmes. Les couleurs aussi. Les marchés. La négociation en permanence car il n'y a jamais de prix fixes. Les sourires, les rencontres. L'ouverture des gens. Des rencontres complètement éphémères. J'ai toujours adoré l'espagnol, la mentalité aussi.

Certains visages m'ont plus marqué que d'autres. Les petites filles. Les situations familiales catastrophiques. Toujours souriants. Je comprenais pas comment ils tenaient debout, mais eux ils étaient là, et ils avaient l'air heureux. Je me souviens, il fallait saluer chaque enfant avec un bisou. Ce contact avec les gens. On ouvrait cette porte grinçante et ils couraient en criant "professeur, professeur" juste pour un 'abrazo'.

Ce côté où on va parler aux gens, l'échange est plus simple qu'en Suisse, peut être parce-qu'il est plus normal. En Suisse dans un train qui n'est pas bondé, on va toujours faire en sorte de s'asseoir le plus loin de l'autre, pour ne pas le déranger. Au Pérou c'est tout le contraire, on se met à côté, pour parler.

Toutes ces rencontres, ça m'a changée. Dans la famille qui m'accueillait, j'aidais souvent la 'nana' à faire le ménage et préparer à manger. J'aimais bien ces moments car c'était l'occasion de discuter. Elle me racontait, ses parents alcooliques, ses frères et soeurs dont elle s'occupait pour ceux avec qui elle avait maintenu le lien, ses enfants. Une histoire de vie très dure. Je rencontrais des gens qui avaient du mal à joindre les deux bouts, des gens qui avaient de vrais problèmes pendant que moi je venais ici faire du bénévolat parce que je pouvais me permettre de ne pas travailler pendant un an. Elle me racontait que là, par exemple, elle économisait pour pouvoir acheter des baskets à sa fille qui n'en avait plus, et moi je pensais que je n'avais jamais acheté de nouvelles baskets parce-qu'elles avaient un trou, mais pour suivre la mode...

Ce sont des sentiments vraiment lourds à porter. Cette impuissance. Cette impuissance qui reste. Ce que j'avais, c'était la relation que je pouvais créer avec eux. L'écoute. Je crois que moi aussi je lui ai apporté quelque chose. Quoique. Je sais pas, mais je crois.

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Et puis, il y a ce qui va demeurer une fois la dernière secousse du séisme de la découverte passée... Dans cette pièce que l'on connaît par coeur, tous les meubles sont revenus à leur place, la place qui aura toujours été la leur, et pourtant, quelque chose a changé... pour toujours...
J'ai découvert le bonheur de la spontanéité. Je n'ai jamais cru que partir c'était une manière de fuir ses problèmes car l'on part toujours avec soi-même ; on ne se coupe pas de son histoire. On apprend. Se laisser porter. Faire tomber les barrières. C'était pas rien pour moi, "Miss Barrières". Et là, non seulement je n'avais pas le choix, mais en fait, je n'avais plus envie de rentrer avec ce boulet au pied. Je voulais aller à une soirée pour rencontrer des gens nouveaux, pas dans la peur de ne connaître personne.
Je suis tombée amoureuse. Ça ne collait pas avec la Suissesse en moi qui aurait dû dire non, qui ne le connaissait pas, qui ne tombait pas amoureuse en une soirée... mais là, je ne ressentais ni la pression du travail, ni la pression sociale, je me suis laissé porter par le courant, je n'avais rien à prouver à personne. J'avais le sentiment de pouvoir écrire une toute nouvelle page. Il a annulé ses plans de voyage, moi les miens, il m'a proposé de partir sur les petites routes d'Argentine découvrir son pays dans une voiture vintage jaune poussin avec toit ouvrant achetée sur un coup de tête quelques jours plus tôt. Je lui ai demandé pourquoi il avait fait ça, il m'a répondu qu'en voyant cette voiture en vente, il nous avait vu dedans, les cheveux dans le vent. Et j'ai dit oui. Pourquoi ? Parce-qu'il le fallait.

Et on est parti.
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La vie sans frontière, sans limite... la vie à 1000 à l'heure ?
Ce genre de voiture, ça roule à 60km au max ! (rires) On avait des pannes de voiture tous les jours : le s-k-e-t-c-h. En fait, on allait pas où on voulait aller, on allait là où la voiture pouvait aller. Nuance. Buenos Aires - Bariloche. En bus : 2 jours. En voiture pour les cheveux à l'air : 2 mois. Je riais tout le temps. J'ai découvert des villages improbables, pas vu un touriste pendant 2 mois et j'ai appris tout le vocabulaire de la mécanique d'une voiture en espagnol. Pour le 31 décembre, on est arrivé dans un village improbable. On avait rien. On n'avait pas prévu de se trouver là. Alors on est allé dans une boucherie, la seule du village. On a acheté la meilleure viande qu'il y avait et on s'est fait un magnifique 'asado'. Un des plus beaux réveillon de ma vie.

Je me suis sentie heureuse. Ça voulait dire quoi ? Ça voulait dire que j'étais bien, en accord parfait avec moi-même. Je me sentais libre. Pas de boulot, plus d'appartement, rien de prévu, aucune contrainte à l'horizon. J'étais libre.

Au bout de 2 mois, on n'en pouvait plus de cette voiture. On est rentré. On l'a vendue. J'ai commencé le volontariat, ça voulait dire ne plus être dans la même ville. Ça a été très dur.

Tout a une fin. Une fin qui n'a souvent pas d'autre sens que celle que le temps qui s'est écoulé lui donne. Un mystère. On dit bien que "Quand Dieu ferme une porte, Il ouvre une fenêtre quelque part" non ?
La première semaine a été très rude. C'étaient les vacances scolaires en Argentine et seulement une partie des activités étaient maintenues : principalement ce qui avait trait au religieux. Première activité ? Cinéma débat. Ça voulait dire passer des bouts bibliques en version cinéma avec un type qui ne faisait pas un débat et qui m'a expliquée que sa mission à lui, c'était d'évangéliser les prisonniers. J'étais interdite. J'ai pas beaucoup parlé les premiers temps. J'avais besoin de temps pour comprendre où j'étais.

Tous les mardis après-midi c’était le commissariat n°1. C'était encore plus marquant que les prisons... très violent... des cages, des endroits sans lumière. Ça pouvait faire 2 jours, 2 mois ou 2 ans qu'ils étaient là, on ne savait pas. Ils faisaient même des tournus pour dormir tellement il n'y avait pas de place. Une toilette à la turque, une espèce de douche fermée par une couverture offrant un semblant d’intimité. Une TV microscopique et dont la neige sur l’image laissait deviner avec difficulté le contenu. Une distraction dépendante du bon vouloir des gardes et de leur humeur du jour. Du maté, des réserves de nourritures, des cigarettes, un bout de verre servant de miroir, des traits au mur pour compter le nombre de pompes faites…

L’odeur. Indescriptible. Un mélange de pourriture, d’hommes confinés dans un endroit restreint, de javel, de nourriture… une odeur très caractéristique, indescriptible mais caractéristique.

Les visites du mercredi par leur famille et nous, le mardi. Voilà à quoi se résumait leur semaine. J'arrivais avec une histoire, un conte ou n’importe quel autre texte ayant une symbolique ou duquel pouvait facilement découler une discussion. Des histoires pour penser. Pour parler. Tu ne sais jamais qui tu vas avoir. Tu construis au fur et à mesure.
Il y a beaucoup de jours sans, des jours banals, des jours sombres...
Le lundi, c’était le jour test. Des fois, ils étaient de mauvaise humeur, provocants, et qu'on se le dise : avec pour unique but de faire chier. Ils répétaient à chacune de mes interventions « Je comprends pas, parle en espagnol ». Et là on se demande vraiment : Pour qui ? Pour quoi ? Pourquoi ? Et puis on y retourne. Ils te testent, tu le sais. Tu sais aussi que pour toi c’est à durée déterminée. Pas pour eux.

Je ne me suis jamais sentie en insécurité. J’ai conscience qu’il aurait pu se passer des tas de choses. Je ne me l’explique pas. J’avais plus peur des gardes que des prisonniers.

C'est un drôle de milieu. J'ai pu observer la lenteur de la justice : certains sont là depuis déjà 4 ans et ne sont même pas encore au courant de leur sentence. Il y aussi le fait que tout, absolument tout circule dans une prison. De la drogue et autre... Souvent, ils sortent plus pourris qu'avant. Et puis il y a le cas de la période de transition entre la prison et la liberté. C'est hyper violent. Ils sont libres mais ils n'ont pas d'argent, pas de travail, souvent pas de famille. Alors certains doivent voler pour survivre. Ils se font chopper et retournent en prison.

Il y une telle impuissance face à tout ça. Rien d’autre à faire que de l’accepter. L’écoute, pour eux, c’était énorme. Il faut dire aussi que ton rôle n'est pas d’analyser, encore moins d’apporter des solutions. Ton rôle c’est juste d’être là. C’est parfois hyper frustrant. Improbable. Insignifiant. Mais en fait, pas tant que ça. Et quand tu l'as compris alors t’es vraiment au maximum de ce que tu peux faire et apporter.

C'est un détenu qui me l'a fait comprendre. Il me partageait sa vie, c'était dur mais ça allait dans le sens logique des choses. Par contre, quand il a retourné la question, je me suis sentie conne. Conne et honteuse. Honte de ma vie trop facile. Honte de la richesse dans laquelle j'avais baigné. Honte de l'injustice dont j'avais profité. Lui, il m'a répondu qu'il voulait simplement mieux me connaître. Il m'a dit "peu importe les injustices, je veux juste un peu mieux te comprendre". Et j'ai compris, ce n'était pas un discours politique.
Ces jours où la lumière se fait. Ce sont des jours à la saveur bien particulière...
On prépare les ateliers d’art en amont. On cherche des thématiques, des idées mais toujours assez simples. Ça paraît un peu grossier mais il faut faire simple, très simple pour qu’ils comprennent. L’activité permet aux détenus de s’exprimer à travers l’art. J’ai été très étonnée de les voir soudainement parler de sentiments, de leurs sentiments, leurs craintes, leurs doutes mais aussi de leurs rêves. On fait des collages, des dessins mais le plus gros travail, celui qui m’occupera pendant plusieurs mois c’est notre projet de mural. Tous ensembles on va dessiner un projet et le reproduire en grand sur un des murs de la cour extérieure. Le projet c’est le leur, il doit être représentatif ou significatif pour eux. Chacun son tour donne des mots clés. Sans beaucoup de surprise les thèmes principaux sont la prison, l’enfermement, la famille, la liberté. Au fil des semaines on dessine des croquis qui prennent de plus en plus de sens. L’idée centrale est l’arbre. Ses racines, des mains. Celles d’un enfant au centre, entourées de celles d’une maman et finalement de celles d’un papa : la famille parfaite. L’arbre se divise en 2, d’un côté le mal, la prison, l’enfer et de l’autre le soleil, la bible une colombe, des fleurs, la vie. Tout en bas, en guise de signature, le profil de chacun d’entre nous. Ce projet ils l’ont terminé alors que ça faisait quelques mois que j’étais de retour en Suisse. Ce fut avec beaucoup d’émotions que j’ai découvert la photo du mural terminé et mon profil aux côtés des leurs. Une petite part de moi restera dans cette prison de Santa Fe.
Lors d'une autre séance, je leur ai lu l’histoire du petit chaperon rouge mais pas l’original, la version écrite par le loup. On a trop souvent la version du gentil petit chaperon rouge mais si peu souvent celle du méchant loup. Ils ont adoré ce conte. Le loup, c'était un peu eux, le loup incompris... 
Et une autre fois, c'était l'heure du grand nettoyage de la cour intérieure. Du coup, pour la première fois on est entré dans la pièce qui leur servait de chambre. Il faisait sombre, il y avait des barreaux partout. On est resté là pendant 2 heures, assis à même le sol, se distinguant à peine dans l’obscurité. On a parlé de tout, de rien, du temps, de la vie. Je me souviendrai toute ma vie de ce sentiment, celui d’être enfermée dans ce trou sombre, d’être moi-même prisonnière, privée de liberté mais surtout d’être avec eux, de partager leur espace, leur vie. Je suis sortie de ce commissariat comme shootée et remplie d’un sentiment de reconnaissance et d’amour. Je me sentais vivante, vivante pour de vrai. C’est une chose à laquelle on ne pense jamais, qu’on ne ressent pas car c’est normal mais ce jour-là, je me suis sentie vivre.

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... des jours qui rendent le retour encore plus violent. Violent d'absence de sens... ?
En rentrant, j’ai eu peur de me perdre, de me perdre à nouveau. La langue ne me quittait plus, je réfléchissais en espagnol. Il a fallu tourner le bouton. Ne pas rester entre deux mondes. Revenir en Suisse avec les joies et les contradictions. Je me sentais tellement décalée.

J’aurais aimé que quelqu’un me pose la question « alors ? », et en même temps, j'étais incapable de raconter. J'aurais aimé faire une liste exhaustive de ce que cela m'avait apporté. Une petite check-list que j'aurais pu montrer, mais je peux pas car c'est pas du tangible ce qui est arrivé là-bas.

Tu vois par exemple, moi qui avait une formation classique de flûte traversière de 12 ans, une fois là-bas j'ai ressenti l'impérieuse nécessité de m'acheter une flûte. Et non seulement je me suis achetée une flûte, mais en plus j’ai fait de l’improvisation devant une télé local dans un hall de gare routière. Moi. Moi qui n’avait jamais fait d’improvisation, moi qui ne savait jouer qu'en lisant une partition. Et là, j’étais une autre. C’était surréaliste. Je me suis ouverte aux champs des possibles de ce qu’était ma personnalité.

Ça a tout changé, et ça n'a rien changé.
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Valérie, c'est vraiment un drôle de petit bout de femme.

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PS1 : Un très très grand merci à Valérie de nous avoir permis de plonger dans son sourire, ses photos, son histoire... Merci du fond du cœur.

PS2 : Donc si on résume, on aura (re)découvert l'importance de savoir s'écouter, de suivre son grain de folie, de se transcender, de se libérerle plaisir d'écrire une toute nouvelle page, de succomber à l'ivresse de bras qui nous enserrentde partir à l'aventure, et de se sentir définitivement plus humain.

6 commentaires:

  1. Ne serait-ce pas ton ancienne collègue que j'ai brièvement connu à l'époque d'un projet commun entre nos deux boites ?

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  2. Helloooo ! La protection de mes sources-taupes nourricières étant primordiale, je ne peux donc pas répondre ;P

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  3. Si cette Valérie est à la hauteur de la qualité rédactionnelle de cet article (ce qui semble être le cas vu comme tu la décris), elle est effectivement l'amie qu'on a toujours voulu!!!!

    Félicitations (à vous 2)

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  4. Pour moi qui ai vécu une expérience un peu similaire il y a quelques années en Équateur, la phrase la plus importante de Valérie est celle-ci : « Je crois que moi aussi je lui ai apporté quelque chose. Quoique. Je sais pas, mais je crois.»


    Encore aujourd'hui, je ne suis pas certaine de la réponse. Les premiers temps après mon retour, je me demandais même : ai-je fait plus de mal que de bien en offrant ces moments intenses à ces gens, ces instants qui demeureront peut-être uniques pour eux ?


    Finalement, je ne sais toujours pas si je leur ai apporté grand chose. Je crois que dire à des gens que le bonheur existe leur permet tout au moins de savoir quoi chercher et cela semble énorme, mais la question du contraste et du retour brutal à leur quotidien laissera toujours une petite ombre sur ces souvenirs.


    Est-ce que Valérie est revenue depuis longtemps ?



    Une relecture de cette entrevue dans un an ou deux serait vraiment hyper intéressante, si vous en avez le temps toutes les deux bien sûr. Simplement pour suivre le cheminement, voir ce qui reste, ce qui se ternit, ce qui a changé ou pas. Ces voyages sont des jalons énormes dans nos vies et sont une richesse à partager sans fin.



    Merci infiniment à vous deux pour ce voyage au coeur des choses.

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  5. C'est beau ce que tu racontes Marion. C'est marrant parce-que cette phrase m'a aussi beaucoup marquée. Je me suis beaucoup posé cette question lors de mes propres voyages et aujourd'hui avec le recul je pense aussi avoir fait une différence : Laquelle ? Combien ? Comment ? Vraiment ? J'ai jamais vraiment su.

    Et quand je t'ai lue ça m'a frappée : le 'comment' n'est plus sans réponse. Tu dis : "Je crois que dire à des gens que le bonheur existe leur permet tout au moins de savoir quoi chercher". Oui je crois que finalement, dans ce genre de voyage, on apporte la preuve concrète que les chemins de vie sont radicalement multiples à travers les récits du sien (ni mieux ni moins bien, là n'est pas la question), même si cela est à des années lumières.

    Cela fait bientôt une année que Valérie est rentrée, à ma plus grande joie ;) Ta suggestion me titille; c'est une excellente idée vraiment !

    PS : je suis en train de dévorer un livre dont j'ai hâte de te parler, mais cela fera l'objet d'une autre histoire.. ;) je t'embrasse

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Le Carnet de Maurine, c est un blog suisse qui se veut comme un carnet de réflexions que l on pourrait ouvrir à n importe quelle page : un sujet en menant tout naturellement à un autre. Une aventure guidée par la curiosité... A l abordage !

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