La poésie de la grammaire : toute une aventure !
"Pour moi, une grammaire c'est avant tout un langage poétique, Une manière de voir le monde, des métaphores, des raccourcis, des catégorisations ou au contraire des imprécisions. [...] Il y a par exemple des langues qui codent le temps verbal de manière complètement maniaque, on peut alors avoir 6 ou 7 passés différents, il y a au contraire des langues dans lesquelles on ne code pas du tout le temps verbal : il n'y a aucune différence entre passé, présent et futur."
[Jean-Pierre Minaudier]
Quel plaisir, mais quel plaisir d'écouter ce doux rêveur des mots. J'ai éclaté de rires plus d'une fois et à 7h du matin dans un bus, c'est plutôt incongru. France Inter a encore une fois enchanté mes oreilles, et nul doute qu'elle en fera de même avec les vôtres.
Jean-Pierre Minaudier est un explorateur. Derrière les murs de sa collection de livres de grammaire - il en possède aujourd’hui exactement 1'163, concernant 864 langues - il voyage aux quatre coins du monde. Tout est pour lui source de réjouissance : de la commande sur internet (les livres de grammaire représentent une passion ruineuse) en passant par la réception du colis (il raconte avoir reçu un livre emballé dans un sac de jute rempli de sciure !), les regards du facteur et de la concierge, aux frisssons de la première lecture.
Oui, Jean-Pierre Minaudier est exalté lorsqu'il parle de sa passion dévorante pour la grammaire des langues exotiques ... qu'il ne peut partager qu'avec peu d'interlocuteurs (c'est un comble !). On peut s'étonner au premier abord de pouvoir ressentir tant d'excitation à la lecture de ce qui, pour une grande partie d'entre nous, a été rébarbatif voire souffrance. On comprend mieux lorsqu'il explique que chaque grammaire est une fenêtre sur le monde, un livre de poésie qui permet de voyager.
Les anecdotes relatées sont croustillantes. On découvre ainsi avec humour le calvaire des auteurs de ces grammaires qui ont vécu au plus près de populations fortement isolées, à devoir par exemple tout en évitant les tarentules, les payer pour qu'ils acceptent de leur parler. Plus triste, on apprend la détresse des ultimes locuteurs de langues destinées à l'oubli, constatant impuissants leur disparition. Et on finit par être complètement abasourdi en apprenant qu'une langue amazonienne a la particularité de noter le temps des verbes avec un mot signifiant "tronc d'arbre" au contraire de nous avec nos bons vieux auxiliaires avoir ou être. Fascinant.
Un point évoqué durant cette interview m'a, mais alors com-plè-te-ment, captivée : l'idée que l'universalisme conduit à l'appauvrissement. C'est une évidence pour beaucoup, mais j'avais toujours en tête que chercher l'universalisme était une forme de construction intellectuelle enrichissante, une forme d'aboutissement. Au niveau des langues, cela signifie oublier à quelle point de la variété découle la culture, la poésie, une certaine vision du monde et finalement la créativité. Comment n'avais-je pas été capable de le penser avant ? Moi qui valorise tant l'originalité, les savoirs multiples, et les liens que l'on peut créer entre différentes disciplines ... Raaah !
Je n'ai pas lu le livre mais je ne peux douter de sa qualité étant donné le régal de cette interview. N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé si vous l'avez lu.
▸ Sinon, émission à écouter et ré-écouter ici.
PS : La poésie dans le verbe avec Camille ou encore Christine and The Queens.
Passionnant!
RépondreSupprimerPassionnant aussi de voir comme une langue développe les nuances et les sensibilités. Combien de mots pour qualifier la pluie en anglais, alors qu'il n'y en a que très peu en français. Le "aber" et "sondern" allemand qui n'a que le "mais" en français, nos prépositions adverbiales "y" et "en" qui n'ont pas leur pareil, "ser" et "estar", "do" ou "make", et j'en passe!
Et vous, le turquoise, vous le voyez plutôt bleu ou plutôt vert?
Autant de nuances et de sensibilités qu'on ne peut percevoir qu'en apprenant ces langues!
Et en étudiant les grammaires ! :D
SupprimerJe t'invite de tout cœur à écouter cette émission, elle est délicieuse, du début à la fin.
By the way, le turquoise est définitivement plutôt vert, m'enfin ! ;)
Bleu, sans doute! ;)
SupprimerJe vois la couleur turquoise bleu-vert
RépondreSupprimerSans doute parce que vous parlez une autre langue que le français :-)
SupprimerBien vu! Je suis Daltonien.
RépondreSupprimerAs-tu écouté l'émission ? N'est-il pas absolument délicieux ? Ma liste de lecture étant ce qu'elle est (faute à ... toi !), je n'ai clairement pas eu le temps de ne serait-ce qu'envisager poser les doigts sur la couverture de son livre... Je t'en supplie, donne moi ton avis dès que tu l'as lu ! :)
RépondreSupprimerJe n'ai pas encore pris le temps d'écouter l'émission, mais je vais y remédier sous peu. Par contre, impossible de mettre la main sur le livre ! :-( Je vais peut-être contacter directement les éditions du Tripode. La couverture est superbe en passant ! ♥ J'ai hâte de partir en voyage au pays des mots !
RépondreSupprimerAh mais alors fais toi ce plaisir, vraiment, écoute cette émission. Tu ne pourras me dire que je t'tronc d'arbre pas prévenue ! ;)
RépondreSupprimerHeuuu ça me donne envie de la réécouter juste pour le plaisir ! :)))