Comment se reconstruire après une humiliation publique ? Le prix de la honte par Monica Lewinsky
"Il n'y a pas un jour qui passe sans que mon erreur ne me soit rappelée, et je regrette profondément cette erreur. (...) En l'espace d'une nuit, je suis passé du statut de parfaite inconnue à celui de publiquement humiliée dans le monde entier. J'étais le patient zéro de la perte de réputation quasi-instantanée à l'échelle mondiale. "
Monica Lewinsky
Je me souviens parfaitement du jour où le scandale Bill Clinton / Monica Lewinsky a éclaté. Mon père et moi, étions en train de bricoler dans son atelier, la radio accompagnant nos gestes, l'odeur de la colle à bois flottant dans l'air, les doigts couverts de tâches de peinture. La radio hurlait au scoop. Je me souviens d'avoir demandé le rapport entre la conduite d'un pays par un président et son infidélité. Je me souviens encore du haussement des épaules de mon père pour seule réponse. Que pouvait-on en dire après tout ? Il a changé de fréquence de radio, et on a continué notre bricolage. Ce n'était pas la première fois que la vitesse de rotation du monde nous prenait de court, mais on ne s'inquiétait pas, on avait bien suivi la Théorie de la Relativité d'Einstein : on en avait déduit que l'on se trouvait au milieu d'une courbure de l'espace-temps ;) ...
"For nearly two decades now, we have slowly been sowing the seeds of shame and public humiliation in our cultural soil, both on- and offline. Gossip websites, paparazzi, reality programming, politics, news outlets and sometimes hackers all traffic in shame. It's led to desensitization and a permissive environment online which lends itself to trolling, invasion of privacy, and cyberbullying. This shift has created what Professor Nicolaus Mills calls a culture of humiliation." / "Depuis maintenant deux décennies, nous avons petit à petit semé les graines de la honte et de l'humiliation publique dans notre terreau culturel, à la fois sur et hors internet. Les sites de ragots, les paparazzis, la télé-réalité, la politique, les nouvelles sorties et parfois aussi les "hackers" participent au traffic de la honte. Cela a conduit à la mise en place d'un environnement en-ligne désensibilisé et permissif, qui a lui même conduit au "trolling", au non-respect de la vie privée et au cyber-harcèlement. "Alors que l'emballement autour de cette affaire prenait la forme d'une magnifique fonction exponentielle, nous faisions de la gentillette résistance en suivant l'affaire de loin, écoutant sans trop écouter, changeant régulièrement de fréquence radio. Puis on a appris que Monica Lewinsky avait sorti une ligne de sac-à-mains. Et là : incrédulité. Nous ne vivions pas juste dans un monde à plusieurs vitesses, non. Ce n'était plus anecdotique, c'était inquiétant : à force de trop peser sur la courbure de l'espace-temps, c'était comme si nous avions fini par voir apparaitre une fêlure.
"But in this culture of humiliation, there is another kind of price tag attached to public shaming. The price does not measure the cost to the victim, which Tyler and too many others, notably women, minorities, and members of the LGBTQ community have paid, but the price measures the profit of those who prey on them. This invasion of others is a raw material, efficiently and ruthlessly mined, packaged and sold at a profit. A marketplace has emerged where public humiliation is a commodity and shame is an industry. How is the money made? Clicks. The more shame, the more clicks. The more clicks, the more advertising dollars." / "Mais dans cette culture de l'humiliation, l'humiliation publique a encore un tout autre prix. Celui-ci ne se mesure pas en nombres de victimes, ce que Tyler et beaucoup d'autres, notamment des femmes, des représentants de minorités, et membres de la communauté LGBTQ ont payé, mais cela se mesure en termes de profits pour ceux qui les attaquent. Cette invasion des autres est une matière première, efficacement et impitoyablement extraite, emballée et vendue pour en tirer profit. Un marché a émergé où l'humiliation publique est une marchandise et la honte est une industrie. Comment gagne-t-on de l'argent ? Avec les clics. Plus il y a de honte à exploiter, plus les internautes cliquent. Plus ils cliquent, plus les rentrées publicitaires augmentent."Et puis plus rien. Je rectifie : plus rien sur cette histoire, de nombreuses autres ont suivi... Aussi, j'ai été très dubitative quand j'ai appris que Monica Lewinsky avait tenu une conférence TED récemment. Je l'étais tout autant mais mon intérêt avait crû lorsque j'ai lu que c'était sur "l'humiliation publique". Je ne l'étais plus trop (ce sont les restes de la ligne de sac-à-mains, je sais pas pourquoi, mais ça reste coincé quelque part...) lorsque je l'ai vue car il en fallait du courage, et quoiqu'on en dise, le courage, ça en impose.
"We talk a lot about our right to freedom of expression, but we need to talk more about our responsibility to freedom of expression. We all want to be heard, but let's acknowledge the difference between speaking up with intention and speaking up for attention. The Internet is the superhighway for the id, but online, showing empathy to others benefits us all and helps create a safer and better world. We need to communicate online with compassion, consume news with compassion, and click with compassion." / "On parle beaucoup de notre droit à la liberté d'expression, mais nous devrions parler davantage de notre responsabilité à la liberté d'expression. Nous voulons tous être entendu, mais reconnaissons qu'il y a une différence entre s'exprimer avec une intention et s'exprimer pour obtenir de l'attention. Internet est l'autoroute de l'identification, mais, en ligne, faire preuve d'empathie envers les autres profite à tous et contribue à créer un monde plus sûr et meilleur. Nous avons besoin de communiquer en ligne avec compassion, consommer des nouvelles avec compassion, et cliquer avec compassion."
Voici le discours de Monica Lewinsky :
Ou alors directement sur le site de Ted : ici. Pas encore de sous-titres en français, mais je gage que ce n'est qu'une question de temps !
PS : Réussir à se recréer d'une toute autre manière, par le chant & Quel langage de l'amour privilégiez-vous ?
J'avoue que je demeure perplexe... Je me questionne sur la frontière floue et changeante entre le « vivre avec les conséquences d'une humiliation » et le « profiter d'une médiatisation aussi humiliante soit-elle »... Tu termines en parlant de courage... je m'interroge : sais-tu si les orateurs TED sont payés lorsqu'ils « offrent » une conférence ?
RépondreSupprimerSi on regarde un peu son parcours, cette femme a tout de même un rapport particulier à son image et à sa popularité. Son rapport à l'argent est également un peu troublant à mes yeux.
Je la cite : « il y a une différence entre s'exprimer avec une intention et s'exprimer pour obtenir de l'attention.»
J'hésite à classer cette conférence dans l'une ou l'autre de ces catégories. C'est peut-être un peu des deux !!! ;-)
Je suis d'accord avec Marion mais je n'aurais pas su l'exprimer aussi clairement.
RépondreSupprimerJe suis passée par les mêmes phases de doute, d'intérêt, de surprise que Maurine et finalement un sentiment de malaise oscillant entre le respect pour ce qui est présenté comme du courage et le doute persistant. Le discours est bien ficelé mais laisse une sensation inconfortable...
Et moi aussi, je suis d'accord avec vous deux. C'est d'ailleurs ce malaise qui m'a fait longuement hésiter à écrire cet article... :)
RépondreSupprimerEt finalement, après la 2e puis la 3e écoute, je me suis dit qu'il y avait quand même des thématiques qu'elle était la seule à ma connaissance à aborder de manière aussi claire :
- le fait d'arrêter d'être un spectateur passif des contenus internet et l'invitation à s'engager pour laisser une trace, ne serait-ce qu'une seule, positive, signe de son passage aussi en quelque sorte => chose que personnellement je ne fais pas encore assez, et j'en prends conscience depuis quelques semaines.
- le fait de prendre conscience de l'importance de l'empathie. L'empathie comme réponse à la haine, comme réponse à la honte, comme réponse au harcèlement => ça, témoin de tels agissements, je ne l'oublierai pas.
- le fait de prendre conscience aussi de l'installation sournoise d'une culture de l'humiliation publique => il suffit de lire les gros titres de la presse people, ou encore d'un compte Instagram/Facebook pour s'en apercevoir, c'est affligeant ! Et d'une cruauté !
- le fait de prendre conscience du pouvoir de son clic sur un article et ainsi, aussi désagréable soit-il, de sa responsabilité en tant qu'internaute => ne plus agir sur Internet en pensant que cela n'a pas de conséquences, si, certains se font de l'argent sur notre curiosité malsaine.
- la capacité aussi que Monica Lewinsky (et je suis totalement d'accord avec le malaise suscité par son rapport à sa "célébrité") a de réussir à retourner la situation, un peu comme au judo où l'on se sert de la force, a priori hostile, de l'autre à son avantage => je ne pense sincèrement pas que j'en aurais été capable.
Je suis très curieuse de voir où cette histoire va aboutir pour elle, vraiment curieuse... :S
Moi, j'aime bien la réaction d'Emma Holten, cette jeune Danoise qui découvre qu'elle vient d'être victime de "revenge porn" de la part de son ex petit ami. Emma Holten a décidé de contacter la photographe Cecilie Bodker, afin de poser nue devant son objectif et de publier en ligne une nouvelle série d'images. Son objectif : désexualiser son image et répondre sur le même terrain au harcèlement sexuel dont elle a été victime, comme des milliers d'autres femmes.
RépondreSupprimer"Ces photos sont une tentative d'être un sujet plutôt qu’un objet sexuel, explique-t-elle sur le Journal de Montréal. Je n’ai pas honte de mon corps, mais c’est le mien. Le consentement est la clé".
Je partage complétement les avis de Marion et Coccinelle74.
RépondreSupprimerEn fait, j'ai l'impression que pendant une bonne partie de sa présentation, elle cherche à ce qu'on la plaigne de ce qui lui est arrivé, or je trouve ça complétement déresponsabilisant.
Elle a quand même eu une aventure avec l'homme le plus en vue du monde, il fallait bien s'attendre à une tempête médiatique, même à 22 ans.
Un peu comme si tu laisses ta voiture ouverte avec la clé au contact, et qu'ensuite, tu cherches à être plaint qu'on te la vole. Certes, dans les 2 cas, ce qui se passe est injuste, mais pas imprévisible.
Par contre, je trouve admirable qu'elle cherche maintenant elle aussi à utiliser son histoire pour "laisser une trace positive" (autrement qu'avec des sacs à main, on s'entend ;-) ). Elle montre l'exemple, elle agit dans le sens de ce qu'elle prône, et cela force le respect.
En résumé, j'ai très peu de pitié pour ce qui lui est arrivé, mais beaucoup de respect pour ce qu'elle essaie d'en faire.
Et finalement, cela force également le respect que Happenstance se fasse le relai de cette conférence, ça contribue à laisser une trace d'empathie, merci!
Mmmh je trouve ton point de vue difficilement généralisable.
RépondreSupprimerC'est en effet drôle et habile de prendre le contrepied afin d’annihiler une stratégie de destruction. Mais cette jeune Danoise a eu, selon moi, de la chance que son ex-petit ami n'ait pas réussi à frapper là où cela lui fait vraiment mal. Je doute que si elle avait honte de son corps les choses auraient pu se dérouler ainsi.
Cette stratégie lui aura permis à elle de se défendre et c'est tant mieux, mais je ne pense pas que cela apporte beaucoup à la lutte contre le cyber harcèlement. C'est même une forme de cautionnement tacite dans une moindre mesure.
Concernant Emma Holten, tu as tout à fait raison Billy. Je n'ai nullement l'intention de généraliser mon point de vue. Moi sa réaction m'a plu. Si elle avait été grosse et laide, et qu'elle ait eu l'audace de faire la même chose, c'eût été encore meilleur !
RépondreSupprimerAu sujet de Monica Lewinsky, je te rejoins tout à fait concernant la bienveillance d'Happenstance.
Quoiqu'il en soit ces attitudes montrent une belle résilience je trouve.
Merci à Happenstance de permettre ces beaux moments de partage...
Je te rejoins à 200% sur l’ambiguïté que tu cites. Mais malheureusement, même en s'exprimant avec toutes les bonnes intentions du monde, si on ne jouit pas d'un minimum d'attention, les intentions sont un peu condamnées à rester de vaines parole...
RépondreSupprimerOu du moins, je n'ai pas encore trouvé de manière de faire autrement ;-)
Oh oui, Maurine, tu as vraiment bien fait de publier cet article. Notre actuelle discussion (et rencontre, enchantée Coccinelle, enchantée Billy :) ) est la preuve de sa pertinence et de sa nécessité.
RépondreSupprimerJouer un rôle « positif » sur internet est en effet une manière de prendre sa place dans une société qui demeure la nôtre, même si de nombreux « pouvoirs » se l'approprient. Les points que tu cites ci-dessus pourraient être une sorte de charte de l'utilisation « active et consciente » d'internet.
Il y a une juste une petite chose sur laquelle je veux apporter une précision, c'est lorsque tu parles de « l'installation sournoise d'une culture de l'humiliation publique ». Malheureusement, je crois que cette culture fait partie de l'histoire depuis longtemps, depuis... toujours. Les exécutions sur les places publiques remontent à... pffff... seule la forme a changé, mais dans le fond... je crains de devoir dire que ça a toujours fait partie de l'humanité.
Avec plaisir ! :) Et merci pour tes précisions, effectivement, j'avais jamais pensé à ça avant, pfffiu je m'élève avec toi ! ;)
RépondreSupprimer"revenge porn", même le mot, je le trouve dégueulasse, alors je te donne pas mon avis sur ce en quoi ça consiste .... :S En tout cas, belle pirouette que celle d'Emma Holten ! Bravo !
RépondreSupprimerMais avec grand plaisir coccinelle74 ! :)
RépondreSupprimerIntéressant ... punaise la ligne est mince tout de même ....
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