(BD) Sublimes "Petites Victoires" d'un père sur l'autisme

(BD) Sublimes "Petites Victoires" d'un père sur l'autisme


(BD) Sublimes "Petites Victoires" d'un père sur l'autisme
Oh mais quelles émotions ! Les mots me manquent pour exprimer combien cette lecture m'a marquée. Cette BD est lumière, de par le magnifique rôle de père qui y est relaté et par l'approche pragmatique, accessible, empouvoirant (il semblerait que cela soit la traduction de l'excellent 'empowering' anglais) de la parentalité. A mettre entre toutes les mains !


J'ai tellement aimé ce témoignage que j'ai décidé d'en faire une analyse plus poussée en psychologie de l'éducation : "Dans quelle mesure les thèses de Vygotsky permettent-elles d’éclairer ou non les processus d’apprentissage et de développement de la personne ayant un Trouble du Spectre Autistique (TSA) ?". J'ai essayé de rendre ce devoir le plus lisible possible par le biais de tous les attributs de caractères à ma disposition sur ce blog. Je vous attends en commentaires :) Bonne lecture !

PS : dans les belles histoires de papa, il y a ce très grand podcast.

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Pour Vygotsky le langage et les interactions sociales sont des concepts centraux de sa théorie (Vergnaud, 2000), c’est également là deux des trois principales caractéristiques du trouble de la sphère autistique (TSA): ‘altérations du langage et de la communication’ ainsi que ‘altérations de la réciprocité dans les interactions sociales’ – le troisième trait étant une appétence prononcée pour des jeux, centres d’intérêt et activités répétitives (Organisation mondiale de la santé, 2009; Thommen, 2011).

C’est pourquoi je souhaiterais approfondir les liens existants entre apprentissage, développement et trouble de la sphère autistique sous l’angle de Vygotsky. Dans quelle mesure les thèses de Vygotsky permettent-elles d’éclairer ou non les processus d’apprentissage et de développement de la personne TSA ?

Pour ce faire, je mettrai en regard les trois caractères principaux de l’autisme avec les trois concepts centraux de la théorie de Vygotsky en illustrant à chaque fois mon propos d’extraits analysés d’une même étude de cas. La toute première caractéristique du TSA est la difficulté de communiquer, c’est pourquoi nous analyserons dans un premier temps le rôle du langage. En effet, le langage est l’un des points d’entrée dans l’univers des interactions sociales qui ont un rôle clé dans la théorie de Vygotsky. Ce dernier affirme même que le développement de l'enfant procède toujours du social vers l'individuel : ce sera l’objet de notre deuxième partie. Pour finir, nous nous attacherons à comprendre comment s’effectue l’apprentissage pour un enfant TSA.





Rôle du langage et ‘altérations du langage et de la communication’


Selon Vygotsky, il y aurait trois types de langages différents – le langage social, le langage égocentrique et le langage intérieur – qui se suivraient successivement, avec de possibles allers-retours entre le langage égocentrique et intérieur (Vergnaud, 2000). Le langage social correspondrait ainsi aux dialogues que l’enfant établi avec ses pairs. Viendrait ensuite le langage égocentrique, qui est une forme transitoire entre le langage social et le langage intérieur. Pour finir, suivrait le langage intérieur, sorte de pensée verbale.

On peut présager ici rapidement de la première difficulté à laquelle sera confronté l’apprenant TSA selon la typologie de Vygotsky. Dès la toute première étape, celle du langage social, nous savons que l’enfant TSA aura d’importantes difficultés à rentrer en communication avec autrui (Thommen, 2011).

Mais pourquoi l’acquisition du langage est-elle si importante ?
Selon Vygotsky, le langage se classe dans les instruments psychologiques qui serviraient
« à modifier le déroulement et la structure des fonctions psychiques de l’enfant » (Vergnaud, 2000). 
Il n’y aurait point de fonctions psychiques supérieures, comme par exemple, l’attention, les fonctions mnémotechniques et la pensée, qui ne prendraient forme sans l’aide des instruments psychologiques. 

Autrement dit, le langage apparaît dans un premier temps chez l’enfant pour lui servir de moyen de communication (fonction interpsychique), puis dans un second temps pour se convertir en langage intérieur, pensée (fonction intrapsychique).

C’est l’exemple de la poussière évoqué dans le récit autobiographique d’Yvon Roy concernant les méthodes d’apprentissage qu’il a mises au point pour son fils Olivier atteint d’autisme, et qui atteindra un niveau de développement marquant pour un enfant non typique (Roy, 2017). Olivier a peur d’une poussière dans l’eau de son bain à tel point que cela déclenche des crises incontrôlables. Au lieu d’aseptiser le bain de son fils, Yvon Roy décide de mettre une poussière dans chaque bain d’Olivier et de l’ôter très rapidement lorsque son fils l’aperçoit mais sans jamais omettre l’étape de la dénomination « poussière », puis de la jeter à la poubelle. Au bout de trois mois,
« non seulement il a vaincu sa peur, mais pour une rare fois, il a utilisé un mot de manière fonctionnelle pour nommer une chose… » (Roy, 2017. p.35).  
Un peu comme si le fait de nommer la poussière, permet d’en éloigner l’étrangeté, et de concevoir que cela n’est pas dangereux.

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Il semblerait donc que l’enfant TSA, à plus forte raison encore qu’un enfant typique, aurait besoin du langage pour appréhender le monde qui l’entoure et « l’explorer » comme le dit Yvon Roy. Mais ce n’est pas seulement une question de dénomination, c’est aussi un enjeu de relation à l’autre, comme le dira Yvon Roy
« Au fil des mois, une nouvelle confiance s’est installée entre lui et moi. Une confiance qui va nous servir. […] Par la suite, ses autres peurs tomberont une à une, comme un jeu de dominos » (Roy, 2017).

Malheureusement, la réalité de bons nombres d’enfant TSA est toute autre. L’enseignement traditionnel se fait encore très majoritairement par les modalités du langage et de l’interaction sociale. Comment assurer à l’enfant TSA la pleine réalisation de son potentiel selon les méthodes d’enseignement traditionnelles ? 

Mottron (cité par Hablot-Kauttu, 2017) propose une conception qui diffère légèrement de celle de Vygotsky. Pour lui, l’ordre d’apprentissage du langage pour un enfant TSA serait différent de celui d’un enfant typique. Ainsi, l’enfant TSA apprendrait d’abord le langage écrit pour ensuite passer au langage oral ; constat partagé par Debionne et Menotti (2013). La raison à cela serait l’absence de nécessité d’interactions sociales dans le cadre du langage écrit. Ce qui n’enlève pas le caractère indispensable d’exposer rapidement et régulièrement l’enfant TSA au code écrit afin de favoriser l’acquisition d’un langage oral à visée de communication, de la même manière que l’intention communicative précède le langage oral chez l’enfant typique.





Loi du développement et ‘altérations de la réciprocité dans les interactions sociales’


Nous l’avons vu dans l’exemple de la poussière, le langage devient un outil de connexion à l’autre, une main tendu danse le monde des interactions sociales. Vygotsky affirme que :
« chacune de ces fonctions psychiques supérieures se développe non seulement en fonction du degré de maîtrise des moyens culturels mis à la disposition des enfants mais aussi de façon interactive : le développement des unes concourt à celui des autres, et ce sont leurs rapports évolutifs que synthétise le concept de développement de la ‘personnalité’ de l’enfant. » (Joigneaux, 2015).

En effet, Vygotsky pense que le développement de l'enfant procède toujours du social vers l'individuel et c’est en ces termes qu’il définit :
« Toute fonction dans le développement culturel de l’enfant apparaît deux fois ou sur deux plans : d’abord elle apparaît sur le plan social, puis sur le plan psychologique. D’abord elle apparaît entre les personnes comme une catégorie interpsychologique, puis en l’enfant comme une catégorie intrapsychologique » (Debionne & Menotti, 2013)

Or comment permettre à l’enfant autiste de réaliser cette première étape de son développement alors même qu’il ne manifeste que peu d’intérêt pour les interactions sociales, qu’il n’en comprend pas le sens ? Comment lui donner les outils pour construire sa pensée ?

Le cas d’Olivier nous apporte un élément de réponse. Yvon Roy (2017) nous explique que l’élément fondateur pour Olivier sera d’appréhender le concept de l’attention conjointe, et ce, à travers le contact visuel. L’attention conjointe c’est regarder où l’autre regarde, « c’est un acte perceptif (voir ensemble) qui implique un acte cognitif (savoir ensemble) » (Aubineau, Vandromme, & Driant, 2015).
« Une des caractéristiques de l’autisme est la difficulté à regarder dans les yeux. Moi, je suis persuadé que ce contact est primordial et que c’est par là que tout doit commencer. […] Le principe est simple : si je vois qu’il arrive à me regarder un instant dans les yeux, je m’approche. Si ses yeux fuient, je me recule aussitôt. Intrigué, il fait un effort, il arrive à garder ses yeux dans les miens une seconde, rarement deux. [Arrivé près de lui] il ne sait jamais si ce sera le front ou le nez [que je vais cogner] et, à cet âge, c’est un suspense bien suffisant pour conserver toute son attention. »  (Roy, 2017. p.64-65).

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En créant un moment ludique autour du regard qui connecte Olivier à son père, Yvon Roy parvient à susciter une forme de déclic chez son fils qui se rapproche selon moi de la théorie vygotskyenne. On y retrouve les ingrédients principaux qui sont : l’interaction sociale (à travers le jeu mais aussi l’objet du jeu), qui fonctionne tel un instrument psychologique permettant l’acquisition de fonctions psychiques supérieures (sorte de ‘savoir ensemble’ mais aussi en termes de développement de la personnalité d’Olivier).

La loi du développement de Vygotsky explique en quoi l’acquisition des compétences sociales pour les enfants TSA est cruciale. Elle permet également de rendre compte en quoi l’expérience d’Yvon Roy est fondatrice dans le développement d’un enfant autiste… et elle est dans la droite lignée des  objectifs des classes thérapeutiques (notamment) qui deviennent
« pour l’enfant un nouveau lieu de médiation entre lui et sa famille […]. Au-delà de cet aspect social, la scolarisation de ces enfants les inscrits dans une dimension culturelle dont l’école est porteuse à travers les objets de savoirs étudiés. » (Debionne & Menotti, 2013).





Zone proximale de développement et ‘caractère restreint et répétitif’


Cela nous amène à la question de l’apprentissage des connaissances. Comment concilier les particularités de l’enfant autiste avec l’approche vygotskyenne de l’apprentissage, profondément sociale ?

Car à première vue, les deux paraissent irréconciliables. Nous l’avons vu, l’enfant TSA se heurte à d’importantes difficultés lorsqu’il s’agit d’apprendre de nouvelles choses. Il apprécie un cadre de vie stable et prévisible (Thommen, 2011) ; ce que la salle de classe n’est pas toujours. Il ne présente que peu d’intérêt pour les interactions sociales (Organisation mondiale de la santé, 2009) ; ce qu’une salle de classe symbolise. A des difficultés toute particulières à accéder à la dimension symbolique comme faire semblant ; ce que par exemple le langage est : une suite de symbole. Il a une attention toute particulière au détail et peine à saisir une situation dans son ensemble ; dans le cas de la catégorisation par exemple, pour l’enfant autiste, l’arbre cache littéralement la forêt (Hablot-Kauttu, 2017). Et pour finir, ses centres d’intérêts sont très limités ; souvent un seul (Thommen, 2011).

Et pourtant, il développe d’impressionnants niveaux d’expertise dans ses domaines de compétences. Et les nouvelles approches du TSA y voient là, la porte d’entrée dans leur monde. « Avant d’entamer un travail d’ouverture sur une culture commune plus large, le professeur va asseoir sa pratique sur les ‘intérêts restreints’ de chacun pour établir avec lui une relation » conseillent Debionne & Menotti (2013).

Cela se rapproche du concept de Zone Proximale de Développement de Vygotsky qui désigne la distance, en termes de temps, qui se trouve entre le niveau actuel de maîtrise de résolution de problème en autonomie complète de l’enfant et le niveau suivant que l’enfant parvient d’ores et déjà à explorer grâce aux interactions de tutelle. On sort de la Zone Proximale de Développement d’un problème donné, et on peut alors parler de développement, lorsque l’enfant maîtrise en parfaite autonomie les acquis du niveau suivant de ce problème.
« Ce que l'enfant sait faire aujourd'hui en collaboration, il saura le faire tout seul demain » affirme Vygotsky.

La bonne définition ainsi que la mise en œuvre appropriée du concept de Zone Proximale de Développement me semble être centrale dans la prise en charge de l’enfant TSA :
« l’enseignant est appelé à avoir de ‘l’ambition pour et malgré eux’, il doit lutter contre le confort que leur apporte la stabilité dont sont porteurs les différents comportements stéréotypés qu’ils mettent en place. » affirment (Debionne & Menotti, 2013).

Cela ressort également nettement dans l’expérience d’Yvon Roy qui décide de lutter contre la tendance naturelle de son fils de s’accrocher à ses routines en lui permettant ‘d’en faire l’expérience’.
« Le soir, il m’arrive de déplacer les meubles dans la maison. Assez pour modifier les chemins qu’il emprunte pour aller d’une pièce à l’autre. » (Roy, 2017).

A la lumière de ces lectures, il semblerait que le principal défi que représente l’enfant TSA en termes d’apprentissage est la manière d’incorporer le facteur social à l’apprentissage. Complexité qui s’accroît par le fait que chaque enfant TSA est unique.





Conclusion


Alors que l’approche Vygotskyenne de l’apprentissage et les particularités de l’autisme semblaient profondément s’opposer au premier abord, cela ne me parait plus aussi clair à présent.

Les concepts centraux que sont le langage, le développement de l’enfant du social vers l’individuel, ainsi que la zone proximale de développement éclairent le fonctionnement de l’enfant TSA.

Loin de s’opposer, l’approche vygotskyenne met en lumière les principaux nœuds d’attention du processus d’apprentissage. Ce qui est à suivre dans le développement pour l’enfant typique, est à surveiller, encourager, soutenir, guider tout particulièrement et encore davantage pour l’enfant TSA. L’objectif central étant le même, permettre à l’enfant de vivre pleinement en tant qu’ « animal social » (Aristote), parmi ses pairs, au sein d’une société.

« Quand j’ai su qu’Olivier était autiste, j’ai été terrifié pour son avenir. Puis je me suis souvenu qu’un enfant très doué peut tout rater si ses parents ne lui donnent pas confiance dans la vie. A l’inverse un enfant handicapé mais confiant peut tout réussir. » (Roy, 2017)



Bibliographie


  • Aubineau, L.-H., Vandromme, L., & Driant, B. L. (2015). L’attention conjointe, quarante ans d’évaluations et de recherches de modélisations. L’Année psychologique, 115(1), 141174. https://doi.org/10.4074/S0003503314000074
  • Debionne, S.-C., & Menotti, G. (2013). Rendre possible l’apprentissage en classe thérapeutique : un défi pour l’enfant avec autisme et son professeur. La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, (62), 6778. https://doi.org/10.3917/nras.062.0067
  • Hablot-Kauttu, A. (2017, juin). Une histoire ? Quelle histoire ! De la théorie à la pratique: propositions pour favoriser la participation d’élèves avec trouble du spectre de l’autisme lors de la lecture d’albums (Master of Arts et Diplôme d’enseignement spécialisé). Haute école pédagogique.
  • Joigneaux, C. (2015). VYGOTSKI Lev. Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures. Traduit du russe par F. et L. Sève. Paris : La Dispute, 2014, 600 p. Revue française de pédagogie. Recherches en éducation, (192), 154156.
  • Organisation mondiale de la santé. (2009). Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes CIM-10. 1, 1,. Genève: Organisation mondiale de la santé.
  • Roy, Y. (2017). Les petites victoires. Rue de Sèvres.
  • Thommen, E. (2011). Reconnaître et comprendre les Troubles du Spectre de l’Autisme. Autisme Suisse Romande. Consulté ici.
  • Vergnaud, G. (2000). Lev Vygotski - Pédagogue et penseur de notre temps. Hachette Education.

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