Le vagabond : entre fascination, instrument pour gagner son salut et diabolisation

Le vagabond : entre fascination, instrument pour gagner son salut et diabolisation

Il y a dans la vie du vagabond un besoin essentiel qui vient immédiatement après la faim, c'est celui des chaussures. (Eugène Brieux)


J'ai trouvé cette émission passionnante. Passionnante et renversante, et je remercie grandement l'historien André Gueslin pour ces éclairages sur les vagabonds errants qui étaient pour le moins nécessaires, surtout en ces temps troublés que nous connaissons.

La première question qui se pose dans sa démarche est celle des sources. Comment écrire sur des personnes qui ne se racontent pas et qui ne laissent pas de traces ?
J'ai abordé la question en faisant un pari d'historien. Il s'agissait pour moi d'écrire l'histoire des hommes sans voix. En tant qu'historien nous travaillons beaucoup avec les archives écrites (...) c'est donc forcément une histoire de leur pensée, hors les vagabonds n’écrivent rien et ne disent pas grand-chose.
Pas évident, n'est-ce-pas ? Mais alors me direz-vous, pourquoi vouloir écrire sur ces "vagabonds errants" ?
Les errants dans l'histoire longue sont à la fois diabolisé mais en même temps  fascinent. Jack Kerouac est en fin de compte un errant pauvre, et il fascine les gens qui le lisent car ils se disent que c’est un homme qui prend la vie de façon réactive. Confrontation entre la fascination et la diabolisation. L’idée du voyage séduit toujours. Le mendiant errant est d’abord un voyageur.
Je loue l'engagement d'André Gueslin ainsi que son intention. Sans langue de bois, il dresse un portrait sans complaisance de notre société vis-à-vis des gyrovagues comme on les appelait au Moyen-Age.
Le vagabond est une théophanie, c'est à dire qu’il serait la représentation, la manifestation de dieu sur terre. L’Ancien comme le Nouveau Testament sont parsemés d’exemples montrant que le vagabond est honoré. Le père de Moïse est un araméen vagabond, Luc de l’Évangile de Luc dit "faites-vous des amis dans les tabernacles éternelles pour qu’ils puissent vous soutenir". Parce-que la fonction sociale, théologique est instrumentalisée. Quand je croise un vagabond dans le fond, je me dis que c'est peut-être Christ que je rencontre. Croisant Christ, je dois lui faire mes dévotions pour que la haut ils m’accueillent dans les tabernacles éternelles. Le vagabond, le pauvre, va servir d’instrument pour gagner son salut. Dans une société très chrétienne on a intérêt à l’aider. Ce qui fait que jusqu'au 14e siècle le vagabond va être valorisé.
Cette vision reste encore aujourd'hui très prégnante. Et pourtant, le vagabond a été qu fil de l'Histoire diabolisé : leur mode de vie dérange l’Église, puis l'accumulation de richesses des villes les fait confluer par centaines. Du vagabond au barbare, il n'y a qu'un pas... Par la suite, on les soupçonnera d'amener dans leurs baluchons les maladies (la peste notamment) : du vagabond aux soupçons de "porter malheur", il n'y a qu'une chaussure crottée. Viennent alors les politiques de répression : on cherche à les mettre au travail, à les rendre "utiles"... du vagabond au galérien, il n'y a qu'un coup de rame...
Au XVIe siècle, il y a la Réforme. Ce n'est plus l’Église qui s'occupe des affaires séculières, c'est l’État. Et les États vont vouloir réprimer ces désordres publiques. D'autre part, c'est le début du Capitalisme, fondé sur l’accumulation. Ces gens censés ne pas vouloir travailler vont être punis. Et puis enfin, c'est la réforme Protestante, par exemple dans le Calvinisme, ce sont ceux qui réussissent matériellement qui sont censés être des élus, avoir une grâce et par conséquent, ces gens qui n'ont rien sont donc à rejeter.
Mais pourquoi dérangent-ils tant ? Pourquoi vouloir toujours ramener à la normalité ces "anormaux" dans le sens premier du terme ?
On veut les redresser. C'est la fonction de toutes les institutions d'enfermement, les maisons de correction. (...) Aujourd'hui cela s'applique surtout aux enfants, mais je crois que ce qui va jouer énormément, c'est que les vagabonds sont perçus comme des enfants. Et donc on veut les former, on veut les améliorer. L'Hôpital Général est censé leur donner une éducation.
Je trouve cela dingue, nous ne sommes pas sans savoir "qu'on ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif", n'est-ce-pas ? Et je le dis mais en même temps l'emploi de cette expression me chiffonne car je trouve qu'elle porte en elle une connotation morale négative : "un âne", "la soif". Qui sommes-nous pour porter un jugement ? Dire qu'on ne peut pas aider une personne qui n'en fait pas la demande, c'est déjà partir du principe que cette personne a besoin d'aide... mais le savons-nous vraiment ? Ne serions-nous pas ceux qui demandent à être aider pour élargir leurs horizons ?
En 1910, on va inventer une présomption de culpabilité. Le seul fait d'errer sans papiers d'identité ni un sous en poche, vous pouviez être arrêter pour vagabondage. Jusqu'en 1994 en France.
Viendra ensuite le vagabond bohème, l'artiste, celui qui refuse les normes et fascine les intellectuels. Charlie Chaplin notamment. On est bien loin du SDF que nous côtoyons tous les jours... le vagabond n'est donc plus celui qui n'a pas de travail mais celui qui n'a plus d'adresse. Du vagabond au SDF, il y a les quelques chiffres du code postal...


Le vagabond : entre fascination, instrument pour gagner son salut et diabolisation> Pour écouter cette fabuleuse émission : ça se passe par ici, dans l'émission radiophonique Le Grand Entretien.

> Pour lire le livre d'André Gueslin, D'ailleurs et de nulle part : c'est par ici.




 PS : Je ne sais pas pourquoi, cette thématique me fait faire une association avec la multiplicité des temps.

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