Angelin Prejlocaj, l'art de la danse, sommet de poésies, fragilités et passions

"La notation et la transmission c'est quelque chose qui est très important pour moi. C'est drôle comme toujours l'on pense aux vidéos... mais on n'a pas idée d'apprendre à un jeune prodige ou interprète pianiste une sonate de Beethoven en lui donnant un CD ! On lui montre la partition ! Ce qui fait que ça lui donne l'espace d'abord de s'approprier cette oeuvre et puis de l'habiter. Si vous lui donnez un disque, il va écouter l'interprétation d'un autre, il se demandra "tel moment suspendu est-ce que c'est Beethoven ou l'interprète ?". Alors il n'y a plus d'espace et il ne reste plus que la possibilité de copier. Donc, il n'y a pas un nouveau strate d'interprétation qui se rajoute a l'histoire de cette oeuvre et on obtient plus qu'un jeu de photocopies."

Angelin Prejlocaj, Jour de Fred* sur France Inter

Angelin, c'est le beau et sensuel prénom d'un des plus grands danseurs et chorégraphes de notre temps. Vous avez déjà observé son travail sans même savoir que c'était lui qui se trouvait derrière, et pourtant : en 2011, le spot publicitaire d'AirFrance "L'envol", c'était lui. Comment oublier cette émotion ? Comment ?

Plus récemment, et toujours sans faire le lien, j'ai été fas-ci-née par cette chorégraphie des Mille et Une Nuits (sobrement appelée Les Nuits) où l'on voit, entre autre, littéralement l'écriture arabe se former sous nos yeux, s'animer et danser. Impressionnant. 

Il raconte sa démarche :  

"Il y a dans ces contes des aspects très sensuels, que j’aimerais redéployer dans la danse. En 1988, j’avais créé la pièce Liqueurs de chair, dont la thématique était spécifiquement concentrée sur la notion de l’érotisme, mais imprégnée par l’esthétique des surréalistes. J’aimerais de nouveau me pencher sur cette question dans un contexte plus flamboyant tout en gardant le mystère et la fascination que produit encore l’Orient dans l’inconscient collectif.
Par ailleurs, ce qui est passionnant dans les Mille et Une Nuits, c’est le dispositif mis en place à travers la figure de Shéhérazade qui par le verbe, la culture et l’intelligence, se dresse comme un rempart à la barbarie et nous questionne sur la place de la femme dans nos sociétés.
On le voit, les pistes ouvertes par ce monument de la littérature sont pléthore et chaque thématique me pousse à développer la danse en tant que concept, à emmener plus loin l’écriture même du mouvement.
Avec Les Nuits, il s’agira vraisemblablement d’aller au plus près du mystère d’un Orient rêvé où les corps se feraient signes, comme une calligraphie des affects et des humeurs."

Je savais alors qu'il fallait que je vous en parle, à tout prix, et que je trouve un moyen pour voir un de ses spectacles.

Ci-dessous, le lecteur va se lancer directement sur le passage que je vous ai mentionné à 9 minutes 0 secondes. C'est normal ;)

Puis, il y a quelques jours, lors de la très traditionnelle remise de vieux magazines, je feuillète un Marie Claire** et découvre qu'il participé à un article "Plaidoyer pour le couple, la force d'être deux". Ma curiosité piquée à vif, les questions se bousculent dans ma tête "Comment un aussi grand artiste que lui va-t-il aborder le sujet ? Va-t-il évoquer la routine que l'on peut retrouver dans un couple et qui doit sans doute ronger l'artiste ? M'en fous, je suis sûre qu'il saura trouver les mots...". Je fonce à la page concernée et voilà ce qu'il en dit :

J'ai tout de suite été captivé par le regard de Valérie (ndlr : ils sont en couple depuis 26 ans). Mais je lui dis souvent que je la trouve plus belle et plus intéressante que quand je l'ai connue. C'est un vrai travail de regarder l'autre, surtout de ne pas croire qu'il est figé. Dans l'amour comme dans l'univers, il y a toujours un big-bang, le fameux "coup de foudre", puis cette chose qui se déploie et rayonne dans l'espace-temps, l'onde de choc du big-bang. Celle de la passion. Pour moi, le temps construit, chaque jour. Ce qui me sidère toujours en Valérie, c'est une forme de joie de vivre. Et sa pugnacité. Son rire, c'est comme un shoot de bonheur. Je ne peux pas nier une certaine solitude face à mon travail, mais dans les moments de doute, parce qu'on échange, qu'elle est une artiste elle aussi, souvent elle me dit un truc qui fait tilt et qui me permet de rebondir. Il y aussi son regard critique, qui m'impose d'être à la hauteur. Mais tout cela bouge sans cesse, comme l'univers en expansion. Le tout, c'est de garder les forces d'attraction, de gravitation, qui font que même en s'éloignant, on reste connectés, puis on se retrouve. 

 Je crois que j'ai un coup de foudre artistique ...

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Pour aller plus loin :
     - Sa biographie détaillée, par ici.
     - Après l'écoute de multiples émissions, ma préférée par ici.
     - Natacha Atlas - A man's world ... "orientalisé" et à tomber par terre de beauté.

* Marie Claire, Mars 2015
** Par ici !

PS : L'expression artistique ne connaît pas de standards & L'équilibre peut-il être synonyme de puissance ?